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La nourriture, héroïne de littérature


Assiette blanche vue du dessus contenant une petite portion de haricots verts cuits, avec quelques éclats d’ail, posée sur un fond sombre.
Les légumes en personnages secondaires

Un accompagnement sans panache, coincé entre le rôti et les pommes de terre… Quelle idée de faire de ces légumes le sujet d’une histoire ? Oui, mais la nourriture me fascine. Si elle ne peut, à elle seule, porter un roman, elle peut s’y glisser en personnage secondaire et enrichir le récit de saveurs et de textures inédites.

Cette fois, ce sont les haricots verts d’Eyal Shani, goûtés dans l’un de ses restaurants, que j’ai voulu copier. Il est passé maître dans l’art de magnifier les plats les plus simples, et a même couronné le chou-fleur au rang de star. Allez ! Je vous donne la recette.

Cette introduction m’a donné faim. Je pars me préparer une tartine et vous laisse à votre lecture.


Les haricots verts


Alertée par une odeur de brûlé que de son bureau elle n’avait pas tout de suite perçue, elle se précipita dans la cuisine. Les émanations lui parurent s’y solidifier. Elles vous attaquaient, se collaient à vos cheveux, à vos vêtements, à votre peau et vous pénétraient la gorge à vous étouffer. « Ne dramatise pas », se dit Léa en allant ouvrir la fenêtre. Elle avait encore une fois oublié de mettre la minuterie en route et, lorsqu’elle inspecta le contenu de la poêle, y trouva un amas de lombrics carbonisés. Les filles accepteraient peut-être d’en grignoter les bouts non calcinés ? Elle pouvait leur présenter ça comme un jeu, une sorte de chasse au haricot encore vert. Ça serait dommage de tout jeter. Quand on pensait à la somme de travail nécessaire pour amener ces légumes jusqu’ici. Les semis, la plantation, la cueillette, le transport, l’emballage, la congélation, un autre transport, le rangement dans le supermarché… À cela s’ajoutaient ses efforts à elle et ses dépenses. Le trajet, l’essence, le prix des ingrédients, le temps passé… Elle en choisit un, le goûta, fit la grimace et vida le tout dans la poubelle.

Pas la peine de paniquer. Il restait du poulet d’hier et un peu de riz. Aujourd’hui, les filles se contenteraient de protéines et de féculents. Elles adoraient les haricots verts — le seul légume qu’elles appréciaient avec les artichauts et les concombres — et Léa s’était réjouie d’avance à la perspective de les voir pour une fois s’alimenter sainement. Les autres enfants acceptaient de goûter les mets les plus étranges, tandis que les siennes la persécutaient avec leur appétit difficile. 

Elle pouvait retrouver son ordinateur et en finir avec cette fichue présentation ou se remettre à la cuisine. Peu importe son choix, sa conscience ne lui laisserait pas de répit. Elle s’empara d’une tête d’ail et d’un sachet tout neuf. Une recette découverte dans un restaurant et qu’elle avait réussi à reproduire à la maison. Écraser les gousses, les éplucher, verser un filet d’huile d’olive dans la poêle nettoyée à la hâte… Les haricots y tombèrent en une pluie de bâtons verts et durs… Il aurait mieux valu les acheter frais, mais, après sa première tentative d’équeutage, écœurée par la monotonie de la tâche, elle s’était juré de ne plus jamais recommencer. Le retour à une consommation responsable exigeait pourtant des sacrifices. Elle aurait pu les faire grandir, ces haricots, elle qui avait connu, l’année précédente, un certain succès avec les blettes. Mais, découragée par l’ampleur et la complexité de l’ouvrage, elle avait repoussé la plantation du jardin potager à la saison prochaine.

Elle jugula son impatience et, tout en remuant de temps à autre, attendit devant la poêle que la cuisson s’achève. Pour s’assurer qu’il ne manquait rien, elle goûta un haricot. Parfait ! Encore vert, même s’il avait perdu son éclat, pas coriace, mais ferme. Un équilibre entre le sel et la douceur des chairs, le tout rehaussé par le parfum de l’ail et du poivre noir. Dans cette vie remplie d’embûches et de chagrins, il lui resterait toujours la satisfaction de réussir un plat simple et savoureux.


À bientôt,

Laurence M. Rapp


Si vous avez aimé ce texte, découvrez mon roman De chair et de larmes.

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Laurence M. Rapp a grandi à Toulouse avant d’étudier à l’Université Paul Sabatier et a exercé comme dentiste pendant plusieurs années.  

 

En 2022, elle a publié son premier roman, Une effroyable beauté, un roman initiatique de fantasy, en 2023, De chair et de larmes, un suspense psychologique difficile à classer qui raconte le combat d’une femme dont la fragile santé mentale est mise à rude épreuve par l’agression des hommes et des bêtes.  

 

Elle réside actuellement en Israël avec son mari et ses trois filles et se consacre à l’écriture.

+972-545300546       laurence@lmrap.com

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