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Solennui : fiction douce-amère pour cinéphile désorientée


Des arbres se reflètent dans l’eau verte d’une piscine. Cinéma, Premier rendez-vous.
J’ai vu le début, la fin, et ignoré le milieu. 

Il y a des films qu’il faudrait aimer. Des films dont le seul nom provoque des soupirs admiratifs dans les dîners en ville et des articles touffus dans les revues spécialisées. Solaris en fait partie. Monument du cinéma contemplatif, chef-d’œuvre de Tarkovski, épreuve initiatique — ou supplice esthétique, selon votre endurance.


J’en ai vu le début, la fin, et j’ai ignoré le milieu. Quelques images m’ont pourtant marquée, comme celle d’un père observé à travers une fenêtre, et de la pluie qui tombe à l’intérieur de la maison… C’est beau, oui. Mais à quoi bon ? Beaucoup d’eau, d’ailleurs, dans ce film. Sans doute un symbole, enfoncé à coup de pilon. Le protagoniste déprime tant qu’il a perdu tout humour. Ou bien l’inverse. Résultat : on déprime avec lui.


Ne vous méprenez pas. J’apprécie, comme beaucoup, une bonne tristesse — franche, avec des larmes qu’on tente en vain de dissimuler. Mais ici, les sentiments sont recouverts d’une morosité molle qui vous engourdit dans votre fauteuil et annihile toute volonté, sauf celle, peut-être, de balbutier : « À quoi bon ? »


J’ai donc écrit cette fiction pour cinéphiles désorientés en pensant aux personnes qui, comme moi, sortent de ces films un peu perdus, vaguement honteux, et qui, le soir venu, googlent “Solaris explication fin”. Une moquerie douce, autant dirigée vers moi que vers les intellectuels qui les prennent trop au sérieux.


Solennui

Ni pop corn ni friandises ou barres chocolatées… Pourquoi choisir un cinéma qui ne fournissait aucune restauration, même la plus frugale ? On aurait mieux fait de rester chez moi. Ou d’aller chez lui. Mais les fauteuils étaient confortables et Raphaël possédait tant de charme que je supportais avec patience son monologue ésotérique. Lorsqu’il avait proposé ce film, j’avais prétendu connaître le metteur en scène. Ce que j’avais découvert ensuite ne m’avait pas rassurée, mais il était trop tard pour changer nos plans. La lumière s’éteignit et, avec l’obscurité, apparut une appréhension tempérée par l’espoir que Raphaël prenne ma main ou, mieux encore, se penche pour m’embrasser.

De l’eau et des algues… Kris, un homme mûr à l’air hébété, se promène dans une morne campagne. À l’intérieur de la maison, son père discute avec un visiteur. Leur aisance contraste avec la gaucherie de Kris que l’on retrouve, debout devant une table de jardin et des assiettes sales, immobile sous la pluie. Pourquoi ne court-il pas s’abriter comme les autres ? Il semble souffrir d’un trouble physique ou mental. 

J’osais un coup d’œil en direction de Raphaël, si séduisant avec son air studieux. Il regardait droit devant lui sans se préoccuper de ma présence. Le manque d’action sur l’écran me plongea dans une torpeur à laquelle je finis par céder. Taraudée par la crainte que mes ronflements me trahissent, j’émergeais de temps à autre de mon sommeil et, l’esprit englué, admirais pour un instant mon compagnon et sa vertueuse résistance, avant de sombrer à nouveau. Il me demanda si tout allait bien… Cette hébétude allait anéantir toutes mes chances de plaire. Je m’imaginais donner le change en simulant une crise d’épilepsie et, malgré mon inconscience, croyais comprendre l’histoire, suivre Kris et partager son rêve. Tant bien que mal, aussi désorientés l’un que l’autre, nous avons tenu bon jusqu’à la fin de la longue projection sans entracte. Je me réveillai sur le gros plan d’une oreille poilue. Celle de Kris…

Revenu à son point de départ, ce dernier erre toujours dans la campagne. Il s’approche de la maison et attire un chien, grâce à une friandise camouflée dans sa main. L’animal court à sa rencontre, l’accompagne un peu, puis s’éloigne après avoir gobé l’appât. Sophistication et maladresse. Comment évoquer la complexité des relations humaines quand on oublie des poils dans les oreilles ou qu’on laisse entrevoir un vieux truc de dresseur ?

J’écartai ces détails triviaux pour me concentrer sur les images. L’eau omniprésente — les algues qui ondulent dans l’océan, les souches qui pourrissent dans la mare et, malgré une luminosité estivale, la pluie qui s’entête à tomber — exacerbait mon envie d’uriner. Kris observe, à travers une vitre, son père occupé à trier des livres. Pourquoi ne va-t-il pas le saluer ? La pluie se met à tomber à l’intérieur de la maison et le vieil homme trempé finit par remarquer l’arrivée de son fils. 

La salle s’éclaira et je me précipitai vers les toilettes, certaine de ne plus jamais revoir Raphaël. Lui, si distingué, et moi, vraiment terre-à-terre… Il doit me prendre pour une idiote. Aucune chance qu’il perde son temps avec une fille comme moi… Je le retrouvai pourtant à la sortie du cinéma. Calme, détendu et énigmatique, tout le contraire de Kris, il m’accueillit avec un sourire, demanda mon avis sur le film et, sans attendre ma réponse, déclara : 

« La prochaine fois, je te laisserai choisir. »

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Laurence M. Rapp a grandi à Toulouse avant d’étudier à l’Université Paul Sabatier et a exercé comme dentiste pendant plusieurs années.  

 

En 2022, elle a publié son premier roman, Une effroyable beauté, un roman initiatique de fantasy, en 2023, De chair et de larmes, un suspense psychologique difficile à classer qui raconte le combat d’une femme dont la fragile santé mentale est mise à rude épreuve par l’agression des hommes et des bêtes.  

 

Elle réside actuellement en Israël avec son mari et ses trois filles et se consacre à l’écriture.

+972-545300546       laurence@lmrap.com

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