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Trop tôt pour pleurer-Lorsque nos peurs prennent forme



Photo d’une maison moderne vue à travers les branches d’un grand arbre, au crépuscule. Une fenêtre éclairée perce l’obscurité, tandis que le reste du jardin reste dans la pénombre.
Une fenêtre éclairée attire les…

Halloween est passée, les décorations ont disparu, mais certaines ombres persistent.

J’ai écrit Les lamentations peu de temps après le 7 octobre. Comment réagir, lorsque nos peurs prennent forme ? Nous vivions, à l’époque, avec un chagrin immense et une angoisse constante. Les rendez-vous de ma plus jeune fille m’obligeaient malgré tout à sortir. La première fois, dans un café presque désert où je l’attendais, j’ai remarqué un couple accompagné de deux enfants en bas âge. Ils m’ont semblé si vulnérables que j’avais envie de leur dire de rentrer.

Les bruits aussi prenaient des tons sinistres. L’accélération d’une moto rappelait la mise en garde d’une sirène, la moindre détonation nous faisait sursauter et, soudain, les glapissements des chacals m’ont terrifiée. Alors, j’ai raconté une histoire, celle de la peur qui se glisse dans le quotidien, se mêle aux odeurs de la nuit et transforme les sons familiers en présages.

Les chacals rôdent autour d’une maison endormie. Ils hurlent et ricanent — comme s’ils portaient en eux toute la cruauté du monde. 

Voici donc Les lamentations, une nouvelle écrite dans l’obscurité, avec l’espoir que la lumière revienne un jour, au moins pour les survivants.


Les lamentations

La brise fraîche se coule par les persiennes entrouvertes et emporte dans son sillage des odeurs réconfortantes de terre humide, d’origan et de fruits fermentés. Je n’ai pas la force d’éteindre le ventilateur du plafond. Mes yeux se ferment. Des glapissements de chacals jaillissent soudain en une succession de rires hystériques qui s’achèvent en lamentations. Ils éveillent en moi une angoisse inhabituelle. 

Les chacals n’étaient pas si nombreux lorsque nous nous sommes installés dans ce village. Un soir d’été, ils sont sortis du néant. Je les ai tout d’abord pris pour une bande d’adolescents facétieux, puis, troublée par leur insistance, j’ai fini par deviner leur véritable nature. Sans presque ne jamais les voir, je les imaginais folâtrant entre les arbres, heureuse qu’il existe encore, à la lisière de notre civilisation, des êtres libres et rebelles, indifférents à nos barrières et à nos lois. Mais cette nuit, je voudrais leur crier de se taire. Je pourrais — comme je l’ai déjà fait plusieurs fois pour défendre mes poules — courir après eux en pyjama, armée d’un bâton, et les mettre en fuite. La chienne peureuse me suivrait avec réticence et leur signalerait sa présence d’une salve d’aboiements bravaches.

Je comprends soudain pourquoi ces chacals m’effraient. J’ai fait, il y a quelques semaines, un cauchemar si abominable que je m’en voulais de l’avoir rêvé. Des sirènes avaient retenti et de terribles déflagrations avaient lacéré la paix matinale. Une nuée d’hommes agiles et robustes avait franchi la barrière. Dans une extase de haine, ils avaient incendié des maisons, abattu des vieillards, violé de jeunes filles, assassiné des familles entières, kidnappé des enfants et torturé des nourrissons. La terre s’était gorgée de sang et de pleurs. L’air s’était chargé d’une fumée nauséabonde — la puanteur des chairs calcinées. Des centaines de corps décapités, profanés et souillés, tordus dans les affres d’une souffrance insupportable. Des détails si abominables que je ne veux pas les entendre, les dire ou les écrire. De si nombreuses victimes qu’il faudrait plusieurs volumes pour pouvoir toutes les évoquer. Leurs visages me hantent. Comment ai-je pu inventer de pareilles horreurs ? Je tourne et retourne dans le lit, cherche à m’endormir sans y parvenir tandis que les heures s’étirent, suffocantes et douloureuses. J’aimerais retrouver mon innocence, la vie d’avant, souvent difficile, mais plus sereine. Retrouver un temps où nos ennemis ne réussissaient pas si bien et où nous nous sentions protégés. Les chacals n’étaient alors que des chiens sauvages que la tombée de la nuit rendait téméraires, et qui, débarrassés de notre présence, se livraient sans crainte à leurs libations conviviales. Une bande rieuse, libre et rebelle qui, même si elle faisait preuve de cruauté — les cris d’agonie de leurs proies me réveillaient parfois —, ne tuait que pour se nourrir. La dureté des bêtes laisse place au matin à celle des hommes. Ou plutôt à celle de mon imagination. Car de telles horreurs ne peuvent pas exister, n’est-ce pas ? Elles appartiennent à une différente époque. 

Les chacals, qui jusque-là se tenaient toujours à distance, se massent devant la fenêtre. Ils doivent avoir senti ma présence. J’hésite à m’enfuir… Dans les autres pièces aussi, j'ai laissé les persiennes entrouvertes. J’essaie de me rassurer ; ces animaux d’habitude craintifs resteront dehors. Quel étrange comportement tout de même… La logique semble se dissoudre à l’écoute de leurs ricanements mauvais. 

Ils attaquent d’un coup. Ils mordent les volets de métal et en arrachent les lames. Leurs griffes rayent les vitres qui se brisent sous la pression. Leur souffle projette des nuées de flammes : elles noircissent les murs et embrasent les meubles. Ce ne sont pas des animaux, mais des créatures monstrueuses, consumées par des pulsions abjectes… la haine d’autrui, un goût pour la souffrance et le plaisir de la destruction. Je ne pourrai pas échapper à ces ennemis qui me poursuivent jusque dans mes rêves. Mon seul espoir est de mourir le plus vite possible.


Cher lecteur,

Pardon pour cette histoire plus sombre que de coutume.

La vie ne va pas sans douleur. Puissent les vôtres rester banales.


À bientôt,

L. M. Rapp

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Laurence M. Rapp a grandi à Toulouse avant d’étudier à l’Université Paul Sabatier et a exercé comme dentiste pendant plusieurs années.  

 

En 2022, elle a publié son premier roman, Une effroyable beauté, un roman initiatique de fantasy, en 2023, De chair et de larmes, un suspense psychologique difficile à classer qui raconte le combat d’une femme dont la fragile santé mentale est mise à rude épreuve par l’agression des hommes et des bêtes.  

 

Elle réside actuellement en Israël avec son mari et ses trois filles et se consacre à l’écriture.

+972-545300546       laurence@lmrap.com

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